Um texto de Montréal que discute os limites e as perspectivas
de uma longa luta :
La grève étudiante québécoise générale et
illimitée : quelques limites en perspective
L’annonce d’une hausse de frais de
scolarité dès la session d’automne 2012, par le gouvernement libéral de Jean
Charest, a été le coup d’envoi d’une riposte étudiante à la mi-février. L’État
veut augmenter les frais de 75% en 5 ans et 180 000 étudiant-e-s (carrés
rouges) sortent en grève générale illimitée (GGI). Après une négociation qui a
avorté, cette même hausse est passée à 82% en 7 ans. La réplique étudiante
s’est corsée et l’entente fut rejetée à l’unanimité par toutes les assemblées
générales des associations en grève. Le gouvernement s’appuie alors sur les
étudiant-e-s réactionnaires (carrés verts) qui demandent des injonctions et
impose aux administrations de régler localement la crise qui se pointe à
l’horizon. Les injonctions sont défiées. La répression et la judiciarisation
sont au bout du bâton. Le premier ministre Charest est interpellé par les
juges, les policiers, les administrations, etc., car le mouvement étudiant ne
respecte pas ni la loi, ni les injonctions. Depuis le 18 mai, le gouvernement a
cru bon faire adopter une loi spéciale, la Loi 78, afin de mettre fin à la grève et au
conflit. L’effet contraire se produisit ; une crise sociale éclate alors.
Seule la Classe
(Coalition large de l’ASSÉ –Association pour une Solidarité Syndicale
Étudiante-) invite la population à désobéir à la loi. Les syndicats, la FEUQ et la FECQ préfèrent la lutte
juridique à laquelle participe aussi la Classe. Devant une
masse de gens de tous âges, qui à tous les jours manifestent illégalement
partout au Québec, et une perturbation économique qui risque de faire perdre le
Grand prix entre autres, sous la pression de la Chambre du commerce, des
propriétaires des événements d’été, du Service de police de Montréal, etc.,
Charest invite les associations étudiantes nationales à s’asseoir et à
renégocier. Dès en partant, cette quatrième fausse tentative de la part de
l’État est vouée à l’échec.
Ce
texte ne cherche pas tant à faire un bilan de la situation, mais à relever
certains moments critiques qui ont donné l’orientation à la situation actuelle.
Il veut apporter quelques informations
et réflexions pour les camarades à l’extérieur du Québec sur l’apport et les
limites de la GGI
dans sa propre lutte et dans les luttes sociales à venir. C’est pourquoi, nous
nous proposons de dresser la table des instants qui nous semblent porteurs
d’espoir et des éléments que nous questionnons. Il sera question d’observer la
radicalisation de la lutte par l’action directe, la soumission du syndicalisme
de combat à l’agenda gouvernemental et la réponse citoyenne au régime démocratique
resserré. Précisons enfin que nous sommes partie prenante de cette lutte à la
base, soit comme étudiantes (en cycle supérieur universitaire, en technique
collégiale) ou en soutien extérieur non-étudiant.
1. Une grève, un conflit et un affrontement
Si les votes de grève parlent d’eux mêmes, car les
étudiant-e-s ne veulent pas de la hausse des frais de scolarité, il faut quand
même noter que les mandats de grève,
quoique impressionnants, cachent toutes des clauses qui permettent à une partie
de la population étudiante de continuer certains cours ; stages, dépôt et
soutenance de thèses, etc., parfois laissant croire que le mandat de grève est
souvent une passoire. Les carrés rouges sont prêts depuis longtemps et Montréal sera le
terreau de cette grève.
En plus des votes de grève de base, une frange
d’étudiants-tes plus militants, issue des associations étudiantes, des milieux
gauchistes et anarchistes vont, par leur activisme, donner le ton au mouvement, ils impulsent ce qui deviendra
« la révolte étudiante». Pour eux, ça va plus loin que la hausse des
frais de scolarité. C’est la marchandisation de l’éducation qu’ils mettent en
cause et en radicaux conséquents, certain-e-s vont à la racine du
problème : le capitalisme.
Dès le début de la grève, fin février, cette frange
décide d’appeler à faire des perturbations économiques
« symboliques » disent-ils et elles, pour rendre plus visible la
contestation. Cela consiste essentiellement à faire des manifestations
étudiantes sur des sites qui représentent la classe capitaliste, ou d’en
bloquer les accès le temps que la police anti-émeute les déloge. Pas besoin de tract, les lieux visés parlant
d’eux mêmes. Les actions sont souvent créatives et teintées d’humour. Elles se
différencient des formes habituelles. Par exemple, les maNU-festations
illustrent, par la nudité, le besoin de transparence et les conséquences de la
hausse, la manif appelée le « grand charivari » pour défiler
déguiser, s’amuser et défier le fichage policier. Il y a eu aussi « l’ Ostie
de grosse manif » appelée le 25 avril à 20h30 qui a marqué le démarrage
des manifestations de soir. Même si ces marches de soir ont débuté avec
plusieurs milliers de personnes et qu’il en reste seulement quelques centaines
et parfois moins, deux mois après, on ne
peut qu’en apprécier la ténacité et le caractère offensif. La tentative de
perturbation du port de Montréal était plus classique, mais chaque jour, une
nouvelle idée éclot. Cela a été aussi la convergence de luttes plus
spécifiques, comme des féministes qui défilaient sur le site du grand Prix de
Montréal, au milieu des bourgeois, avec un vibrateur géant, une autre
maNu-festation affirmant les beautés de la diversité physique sans égard au
modèles promus par le patriarcat, ou la manifestation contre le « Plan
Nord » (plan économique du gouvernement pour le développement du grand nord québécois). Ce
fut d’ailleurs un affrontement manifestant /police particulièrement marquant.
Même si ce n’est pas l’affrontement avec la police qui est le but, les
étudiants qui appellent à ce genre d’actions ne sont pas naïfs et la répression
fut des plus féroce. Les camps sont davantage antagonistes et le rapport de
force se construit.
La démonstration de force du gouvernement basée sur la peur et
l’intimidation veut casser le mouvement à ses débuts. Les exactions policières
se multiplient. Les manifs sont rapidement déclarées illégales et sont suivies de lacrymogènes, balles de
plastiques, grenades assourdissantes et cavalerie, sans oublier les flics à
vélo qui se mettent aussi de la partie. Parallèlement et petit à petit, le conflit est
judiciarisé par des injonctions pour forcer la reprise des cours dans certains
établissements. La police entre sur les campus pour les faire respecter. Les étudiant-e-s défient les injonctions en
faisant des lignes de piquetage dures. Il y a des affrontements et des
arrestations dans les universités même ; étudiant-e-s et professeur-e-s en
larmes, en colère, arrêtés, blessés, etc. C’est un échec pour l’état, les
professeur-e-s refusent d’enseigner et les recteurs ferment pour cause de
sécurité. Il
y a des blessés-es graves, les interpellations et arrestations sont au nombre
d’environ 4000 depuis 4 mois, les accusations vont de l’attroupement illégal,
blocage de la circulation, méfaits, entrave au travail de la police
jusqu’à « faire craindre à des actes terroristes » (reliquat de le dérive sécuritaire post 11
septembre 2001) où certains-ne-s risquent plusieurs années de prison. Les blocages de pont et
les perturbations des lignes de métro (fumigènes et pavés sur les voies)
représentent les limites de ces perturbations économiques. Les travailleurs et
les travailleuses regardent d’un oeil sympathique le blocage de la circulation
dans le centre ville, autour de la bourse mais ne les accepte pas en général,
quand c’est leur tour. Ils ne sont pas prêts d’arriver en retard à leur job. Le
blocage des voies d’accès aux banlieues semble poser le problème de qui est
visé : le travailleur ou le patron ? L’économie étant un argument
trop abstrait dans ce cas.
La confrontation est réelle
La propagande étatique est lancée. Surpris par la
riposte étudiante et l’échec de la répression de la première heure, le
gouvernement pousse à faire croire que Montréal est le théâtre d’émeutes, pour
quelques vitrines brisées par des étudiant-e-s en colère. Qu’il n’y aurait que de gentil-le-s manifestant-e-s
infiltré-e-s et détourné-e-s par des casseurs anarchistes. Une atmosphère de
peur pour mieux faire régner l’ordre. De plus lors du Congrès du parti libéral
et de ce qu’on a appelé « l’émeute de Victoriaville », on ne peut pas
s’empêcher de se demander pourquoi un chantier de construction a été laissé à
la portée de manifestant-e-s ou à peine protégé par de simples barrières.
Est-ce que l’État aurait un intérêt à envenimer le conflit pour justifier sa
répression et stigmatiser l’image de certain-e-s étudiant-e-s en
« black bloc » présentés par
les média sous l’angle des professionnels de la casse. Était-ce aussi une
manière pour le parti Libéral de montrer à son électorat qu’il pourrait
ultérieurement faire régner l’ordre ?
Au même
moment que les étudiant-e-s sont condamnés, par les médias, pour « leurs
actions violentes » et taxés de « casseurs » par ceux-ci, le
nombre de grévistes augmente lui de jour en jour. Le milieu étudiant est en
ébullition et il y est beaucoup discuté de l’action directe menée par cette
frange radicale. Les manifestant-e-s se
font matraquer et arrêter par la police
anti-émeute, mais où est l’émeute ? Pour certain-e-s, c’est l’euphorie et
l’adrénaline. Pour d’autres, c’est la peur. Des bancs d’école, on passe à
l’école de la rue. Un mois et demi après les premiers votes de grève, dans les
AG, les revendications se multiplient. La grève a été déclenchée contre la
hausse des frais de scolarité, maintenant c’est aussi contre la répression
policière et pour la riposte. La gratuité scolaire est réclamée pour une
société plus juste. La lutte est antisexiste, les jeunes femmes sont dans les
prises de paroles et aussi la roche à la main. Dans les associations étudiantes
les plus radicales, on parle et on se réclame du syndicalisme de combat.
L’énergie d’une jeunesse loin d’être d’accord sur tout, fait l’unité et
reconduit la grève. Des étudiant-e-s qui étaient contre la grève au début sont
indignés-es par la réaction du gouvernement et sont maintenant en faveur de la
grève. Et la vitesse de regroupement lors des manifestations est
exceptionnelle. Les médias sociaux permettent aux manifestant-e-s de se
retrouver en quelques heures. Le site d’une des fédérations étudiantes, la CLASSE, est ouvert à toutes
et tous pour appeler à une manifestation. Le calendrier de ce site pouvait
contenir jusqu’à une dizaine d’actions, manifs par jour. On a le choix des
armes.
« La grève est étudiante, la lutte est
populaire »
Malgré ce slogan que l’on a pu lire sur les murs de
la ville et sur des tracts, la grève étudiante est restée relativement isolée
pour la majorité du temps malgré les manifs monstres qu’elle a suscitée. C’est
les militant-e-s les plus radicaux, inspiré-e-s par la récente victoire
étudiante chilienne, le mouvement des indignés et le printemps arabe, qui ont
instauré le rapport de force du mouvement,
même s’ils représentent une petite partie des grévistes, c’est bien avec
le soutien de la base que tout s’est construit. À un mois et demi du début du
conflit, les trois fédérations étudiantes nationales mobilisent beaucoup de
gens lors de la 1ère manifestation nationale du 22 mars (200 000
personnes) mais les revendications retenues pour les négociations sont faibles
par rapport à celle de la rue. Toutes se sont entendues sur un gel des frais de
scolarité et la tenue d’états généraux sur l’éducation. La Classe revendique, à long
terme, la gratuité scolaire, ce qui n’est pas le cas des deux autres
fédérations, FECQ (La
Fédération étudiante collégiale du Québec), la FEUQ (Fédération étudiante
universitaire du Québec). En somme, une si grande grève et tant de mobilisations risquent de rapporter
très peu.
Le 22 avril, 300 000 personnes dans les rues de
Montréal. Le 22 mai c’est encore plus
énorme, certains disent 400 000, alors que le gouvernement venait de
sortir sa loi bâillon (loi 78). En clair, la résistance qu’on peut qualifier de
citoyenne est dans la rue. Les organisations se font déborder, plus de parcours,
les manifestant-e-s sont partout. Ça sera le chant du signe avant les vacances.
Cent jours de grève ça épuise, le nombre de gréviste reste à 180 000. Le 22 juin
100 000 personnes sont encore dans les rues, beaucoup d’étudiant-e-s
ayant rejoint les régions pour aller travailler durant les vacances. Dans les
AG, ont se souhaite bonnes vacances et on se redonne rendez-vous pour la
rentrée qu’on se promet chaude sur les lignes de piquetage.
2. La soumission du syndicalisme de combat au
planning gouvernemental
Nous
défendons l’idée selon laquelle à partir du moment qu’une organisation,
notamment syndicale étudiante, cherche un terrain de négociation avec le
gouvernement, elle se prête au jeu des compromis et finit donc par se plier aux
conditions de négociation. C’est le cas de la Classe qui s’est jointe aux quatre rencontres de
discussion avec la ministre de l’éducation et les deux autres associations
nationales. Deux de ces rencontres retiennent en particulier notre attention,
soit la première, celle du 22 avril et la deuxième, celle en présence des chefs
syndicaux, du président des cégeps et des recteurs des universités.
Lors
de la première négociation (22 avril), la ministre de l’Éducation Lyne
Beauchamp demande une trêve de 48hrs et que la Classe dénonce la violence,
si elle veut pouvoir s’asseoir à la table de négociation. Après une période de
réflexion, la coalition répond que la violence doit être dénoncée tout en
prônant la désobéissance civile. Beauchamp (la ministre de l’éducation) fait
avorter les négociations sous prétexte que la Classe n’avait pas respecté la trêve, car une
association locale a organisé une manifestation de soir intitulée Ostie de
grosse manif. La crise débute et on prend l’habitude de manifester de soir.
Céder aux demandes de dénonciation de la violence fait partie des consensus
entre État et syndicats. Jusque là, la Classe semble jouer un rôle plutôt traditionnel
puisqu’elle veut s’entendre avec le gouvernement sur la hausse des frais de
scolarité. Toutefois, on apprend uniquement le 3 juin que le 27 avril, la Division des enquêtes sur
la menace extrémiste de la
Sureté du Québec a interrogé longuement, pendant 80 minutes
un porte-parole de la
Classe. Il est incompréhensible que cette coalition n’ait pas
dénoncé publiquement ce type de stratégie d’enquête sur les grévistes et
groupes supporteurs, qu’elle n’ait pas alerté les gens concernés. Pourquoi
n’a-t-elle pas accusé l’État de procéder à une chasse aux sorcières ?
Rappelons qu’en 2011, la police de Montréal (SPVM) mettait sur pied une
escouade politique intitulée Guet des activités des mouvements marginaux et
anarchistes (GAMMA) qui a pour mandat le profilage politique. Qu’il s’agisse du
ministre de la justice, Dutil, ou de celui des finances, Bachand, qui a
d’ailleurs accusé la Classe
d’être menée par des marxistes et ses manifestations par le Black block, hors
de tout doute, les services de l’ordre attaquent au-delà de la Classe. Dénoncer
un État obscurantiste et répressif était la seule sortie possible du débat sur
la violence. Au lieu d’une position offensive et d’une dénonciation de la
répression politique, la Classe
joue le jeu du gouvernement, uniquement parce qu’elle cherche à être incluse
dans les négociations. Le syndicalisme de combat se soumet au planning gouvernemental.
Ce faisant, si la grève échoue et si les revendications se diluent au compte
gouttes, la Classe
fait désormais partie du problème, pas de la solution, comme c’est aussi le cas
de la FEUQ et de
la FECQ dont il
importe peu d’en discuter puisque toutes deux sont liées encore plus
directement au système politique. Si la Classe fait alors partie du problème, il en va
ainsi pour les centrales syndicales nationales.
Autour du
4 mai, les associations étudiantes nationales sont invitées à s’asseoir à
nouveau avec le gouvernement, les syndicats ainsi que les recteurs d’université
et le président des cégeps. Ce que retient ici notre attention est la présence
des syndicats à cette table de négociation sans que les associations en grève
ne le demandent. Il paraît, raconte-t-on, que lorsqu’il y a une crise au
Québec, les chefs syndicaux des grandes centrales syndicales nationales, sont
invités à participer à la résolution du problème. Ce qui est plutôt peu
rassurant! Trois jours avant le début de la deuxième rencontre de négociation, Michel Arsenault (FTQ), reçoit un appel du chef de
cabinet de Jean Charest. Il accepte sans hésiter, tout comme ses collègues
Louis Roy (CSN) et Réjean Parent (CSQ). Michel Arsenault précise que « Quand tu
es président de la FTQ
et que le premier ministre te convoque, tu y vas. Surtout quand il te demande
un service pour le bien du Québec. »[1]
Tous acceptent de jouer aux médiateurs paternalistes et les chefs donnent même
une leçon de négociation aux leaders étudiant-e-s. À cet effet, raconte Michel
Arsenault : « […] je leur ai expliqué que négocier, c'est concéder. Ça
prend un rapport de force que tu puises dans la mobilisation. J'appelle ça:
monter le chat dans le poteau. Mais un jour, il faut être capable de
redescendre le chat. »[2].
Rappelons ici que cette négociation a lieu en même temps que le congrès du
parti Libéral à Victoriaville et que la manifestation vire à l’émeute. Une
deuxième condamnation de la violence est à nouveau exigée par le premier
ministre auprès des leaders étudiant-e-s qui doivent, de plus, faire un appel
au calme. Ce qu’ils firent alors que la situation exigeait qu’ils lèvent le
camp étant donné l’extrême répression policière que les manifestant-e-s étaient
en train de subir sur le terrain. De retour à la table tranquille, une entente
est signée sous les regards des chefs syndicaux bien fiers de leurs poulains
étudiant-e-s.
L’entente de
principe signée a été rejetée à l’unanimité par les associations étudiantes
toujours en grève. Les chefs syndicaux sont profondément déçus, eux qui se sont
tant investis dans la cause ! La lutte reprend de plus belle. Ayant bien
joué le rôle de pacificatrices qui leur revient d’office, les centrales
syndicales nationales sont peu enclines à faire une journée de grève sociale.
Désormais, le mouvement étudiant semble stagner après avoir fait le compromis
de dénoncer la violence, d’appeler au calme et de négocier des miettes parfois
même suggérées par les centrales syndicales elles-mêmes. C’est dans la rue que
se poursuit la lutte au-delà des leaders étudiant-e-s, mais surtout sur les
lignes de piquetage alors que les injonctions sont défiées. Face à
l’indiscipline du mouvement étudiant, à sa résistance à la matraque et à sa
volonté de perturber l’économie québécoise, Charest fait adopter une loi
spéciale qui entre en vigueur le 18 mai.
3. Défi de la Loi 78 : «La loi spéciale, on s’en
câlisse !»
Le
gouvernement, voyant que les injonctions sont défiées, que la répression ne
réussit pas à faire plier l’échine au mouvement étudiant, décide de faire voter
une loi spéciale, la Loi
78 qui restreint la liberté d’association et de mobilisation. Aussitôt votée,
la loi est défiée spontanément dans la rue par des centaines de personnes. Ce
n’est que deux jours plus tard que la
Classe reprend l’initiative en étant la première et la seule
organisation à soutenir ce mouvement et appelle donc à défier la loi, ce qui
était déjà fait par la base. De plus, depuis le 22 mai, il y a des manifestions
de casseroles (en souvenir du Chili de Pinochet des années 70). Cette reprise
de type de protestation, ici contre la loi 78, est transformée dans le contexte
québécois de 2012. À tous les soirs, vers huit heures, les gens sont invités à
sortir sur leurs balcons ou sur les trottoirs avec leurs casseroles. Le mot
d'ordre sur facebook, twitter, etc. est : « A vos
casseroles ! ». La population est invitée à faire du bruit contre la
loi spéciale qui interdit de manifester sans annoncer l'itinéraire huit heures
d’avance, etc.
Des familles,
enfants, grands-parents, etc., de plusieurs quartiers de Montréal, et d’autres
villes québécoises, sortent à la rue et se mettent à manifester de manière
spontanée, en faisant un bruit titanesque, provoquant eux-mêmes des
manifestations illégales. Sans compter les juristes, dont un procureur de la
couronne, qui se sont joints à l’une des manifestations de nuit le 28 mai.
Accompagnés de manifestants au masque d’Anonymus, des avocat-e-s, bannière et
casseroles en main, ont dansé allègrement et même scandé : « la loi
spéciale, on s'en câlisse! ». Bref, la population s'amuse à ridiculiser le
premier ministre du Québec, Jean Charest, juristes inclus, qui a fait voter
cette loi. La population est en train de lui dire qu'elle ne la respecte pas.
C’est du jamais vu! Mais, sous le feu de la joie du début, se trouvent les
rouleaux à pâte et de terribles cuisiniers ; les flics attaquent, les
arrestations affluent et les amendes aussi. Mais la loi 78 (maintenant loi 12)
n'est pas appliquée pour l’instant. Ce qui n’implique pas qu’ultérieurement,
les organisatrices et organisateurs des manifestations ou autres ne puissent
recevoir des accusations. Cependant le revers de cette situation,
d’élargissement citoyenne au caractère largement anti-répression et contre la
corruption gouvernementale, est un
affaiblissement des manifs et actions plus radicales dans la forme et dans le
contenu. L’anti-capitalisme certes minoritaire mais bien vivace des dernières
semaines, est noyé par le caractère bon enfant et familiale des casseroles. Les
nationalistes déjà omniprésents dans les manifs monstres sont sur le terrain
pour défendre le modèle québécois qui serait mis à mal par la loi spéciale et
l’attitude du gouvernement libéral. On place désormais le carré rouge au cœur
du drapeau québécois et patriote, les nostalgiques du rouge révolution ne
semblent pas y voir de contradiction, la confusion s’installe.
Des tentatives, par
les plus radicaux, de prendre la tête des défilés de casseroles ne mènent
souvent qu’à importer la dynamique pacificatrice de cette réaction citoyenne au
cœur des manifestations de nuit qui deviennent rapidement un calque central des
casseroles de quartier. De la révolte étudiante, on passe à la réaction IKÉA,
si on peut dire. Une partie de la population qui pense et agit en communauté indifférenciée,
sans intérêt de classe, ne parvient pas à dépasser le discours dominant
nationaliste et semble imposer son rythme au mouvement. La minorité la plus
militante en appelle immédiatement à des assemblées de quartier qui se
réunissent pour engager le dialogue et les discussions sur le mouvement. Il est
trop tôt pour bien saisir cette nouvelle dynamique. Cette tentative d’élargir
la lutte n’est pas un résultat acquis mais un processus pratique qui devra
visiblement trouver ses propres formes pour ne pas rapidement se fossiliser en
un forum citoyen stérile malgré la volonté évidente des militant-e-s d’en faire
un outil de mobilisation réelle. En ce début d’été, les assemblées de quartier
(4 ou 5 quartiers) se sont réunis 3 ou 4
fois avec plus ou moins 75 personnes,
les manifestations de nuit se sont réduites considérablement comme les
casseroles. Cette pause estivale sera-t-elle suivie d’une reprise de
l’offensive sur de nouvelles bases ? Il semble qu’une élection provinciale
soit prévue de la mi-août à la mi-septembre. La possibilité de changer le
gouvernement Charest va-t-elle amener un calme relatif dans la reprise de la
lutte ?
En
guise de conclusion temporaire
En terme de
mobilisation la grève étudiante a été historique faisant descendre dans la rue
des centaines de milliers de personnes,
du jamais vu au Québec. En terme de contenu, on peut cependant discuter si
l’anti-capitalisme de plusieurs personnes était effectivement partagé par la
majorité. Certes mieux vaut marcher que de rester stationnaire, mais marcher
pour aller où ? dans le cul de sac nationaliste d’un modèle
québécois ? La suite sera intéressante à tous points de vue. La mi-août
approche et la rentrée scolaire aussi…
La
désobéissance du mouvement étudiant fera-t-elle partie de l’attitude que les
syndicats pourraient adopter lors des prochaines négociations des conventions
collectives dans le secteur public ? Est-ce qu’on peut penser que les
centrales syndicales tirent cette leçon d’un nouveau mouvement étudiant ?
Ou ne devrait-on pas poser la question différemment ? Si nous prenons pour
acquis que tout syndicat négocie avec les patrons et les gouvernements, qu’ils
sont des interlocuteurs et des médiateurs chevronnés, qu’ils cherchent à
neutraliser les passions et à ramener les échauffés à la température ambiante,
nous conviendrons qu’ils analysent la situation actuelle pour mieux mater les
membres dissident-e-s lors des négociations. Est-dire alors que c’est aux
syndiqué-e-s directement à qui peut s’adresser les sentiments de liberté, de
risque et d’aventure générés par la grève étudiante ? Il s’agit d’une
piste qu’il nous tarde d’explorer, étant nous-mêmes des étudiant-e-s et
travailleuses et travailleurs.
Des casseroles en ébullition !
Montréal, juin 2012
[1] http://www.lapresse.ca/actualites/dossiers/conflit-etudiant/201205/11/01-4524668-la-nuit-des-longues-negos-trois-acteurs-racontent.php.
Page consultée en ligne le 4 juin 2012.
[2] Ibid.
0 comentários:
Enviar um comentário